LE MANIFESTE
I.- Contexte et Justification
En effet, devant l’absence de partis politiques modernes, structurés, solidement implantés au niveau national, c’est l’existence de ces multiples organisations et surtout de leur combativité, leur coordination formelle et informelle qui a permis la tenue des premières élections démocratiques dans l’histoire de notre pays, le 16 décembre 1990. Cependant, en s’engageant ainsi directement dans la lutte pour la conquête du pouvoir, puis en subissant de plein fouet la répression qui a suivi le coup d’Etat civilo-militaire du 30 septembre 1991, ce mouvement populaire s’est retrouvé sérieusement affaibli. Cependant, la situation d’extrême précarité économique dans laquelle ces groupes évoluent, combinée à la tendance du pouvoir politique de type oligarchique à coopter des organisations de base c’est-à-dire, à acheter leurs services politiques, tout cela a achevé la débâcle de ce grand mouvement populaire de l’après Duvalier.
Aujourd’hui, face à la situation de grands désastres (humanitaire, politique, écologique et socio-économique) qui menace sérieusement la nation haïtienne dans ses fondements les plus profonds, devant les atteintes graves à la souveraineté nationale et compte tenu de la situation de décapitalisation accélérée du pays d’une manière général, des classes laborieuses en particulier, des atteintes graves à la production nationale, il est impératif d’agir mais en tirant très humblement les leçons de notre passé récent et surtout de l’expérience des pays et peuples frères de l’Amérique Latine et du monde qui se sont engagés, tout comme nous, dans des luttes historiques pour la défense des droits de tous les citoyens et surtout des travailleurs.
Il est utile de rappeler que le tremblement de terre du 12 janvier 2010 a mis à nu la vulnérabilité d’un modèle de société et d’un type d’Etat qui sont arrivés à leur limite historique. Or, bien avant le 12 janvier 2010 la situation haïtienne était déjà critique. L’Etat aussi bien que la société révélaient des signes évidents d’épuisement et de disfonctionnement. Rien qu’au niveau de la gestion de l’environnement, la situation était déjà désespérée (environ 2% de couverture forestière). A la fracture sociale et politique qui frappe le pays depuis son indépendance vient s’ajouter une fracture environnementale qui constitue une sérieuse menace pour l’existence du peuple haïtien.
L’ampleur des défis qui se posent devant nous à l’heure actuelle est donc immense. Ce qui nous commande d’oser penser et agir autrement. La résolution pour le durable des grands problèmes structurels qui accablent le peuple haïtien à l’heure actuelle ne saurait être l’affaire d’un seul homme ou d’un seul secteur. Elle doit être l’œuvre de tous ceux et celles qui reconnaissent la nécessité de changer ce système social inique mis en place dans le pays depuis le triomphe de la contre-révolution du 17 octobre 1806 soldée par l’assassinat du père fondateur de la patrie haïtienne, l’Empereur Jean Jacques Dessalines. Ainsi, s’explique pour nous toute l’urgence d’œuvrer aujourd’hui et sans tarder, à la mise sur pied d’un vaste mouvement citoyen ayant l’intelligence nécessaire pour pouvoir étudier les grands problèmes du moment et les défis qu’ils suscitent afin d’en apporter les solutions y relatives. Voilà pourquoi nous croyons opportun de proposer au peuple haïtien cet outil organisationnel qu’est le Mouvement des Travailleurs et des Citoyens (MTC). Il s’agit d’une initiative socio-politique visant le changement social.
Il demeure entendu que ce mouvement socio-politique en construction ne saurait se substituer à un parti politique traditionnel, ni se confondre avec lui. Il ne devra en aucune façon céder à la tentation de travailler à la conquête du pouvoir suivant le jeu politique traditionnel haïtien, marqué par l’absence de programmes et de débats clairs qui puissent guider les citoyens dans leur choix. Il s’agirait alors d’un mouvement alternatif de rupture c'est-à-dire, porteur d’un autre projet de société: une société ouverte, démocratique, progressiste et inclusive où chacun a sa place. Entre ce mouvement socio-politique de type nouveau et les vieux partis classiques, pourrait pourtant exister des passerelles de discussions et de dialogues permanents francs, contradictoires même afin de pouvoir poser et traiter les grandes questions relatives à la problématique de sortie de notre sous-développement structurel qui a déjà franchi le seuil de l’intolérable. D’ailleurs, l’idée de regrouper les mouvements sociaux et certaines organisations politiques en un vaste mouvement citoyen moderne et démocratique, relève d’une démarche novatrice, capable d’articuler un autre modèle de société. Il ne faut pas perdre de vue qu’Haïti est aujourd’hui une société profondément atomisée, désagrégée et déconstruite. Voilà pourquoi il y a autant de partis politiques (188 officiellement inscrits au Conseil Electoral Provisoire lors des dernières élections de l’année 2015) et soixante-onze candidats à la présidence pour dix millions d’habitants.